I don't care what's a truth. [PV Ryûzaki Honzo]

{ J'étais.. hum. Très inspirée. xD }

Les nuages arrivèrent malencontreusement. Ils cachèrent doucement le soleil resplendissant qui avait égayé cette belle matinée d’automne, de leur coton opaque. Ils ne faisaient pas partie de cette espèce de nuages blancs et mignons, que le vent pousse jusqu’au bout du monde. Vous savez, ceux qui sont charmants, qui prennent des formes facétieuses. Non, ceux-là, ils étaient méchants. Et gris. Ternes, délavés, décolorés, fades, blafards et laids. Ce sont ceux qui recouvrent le ciel exactement quand on n’en a pas du tout envie. Et qui y règnent un bon moment. Ceux que la brise saisonnière a beaucoup de mal à chasser. Le soleil ne perce que très difficilement à travers, et le résultat est cette lumière pâlotte, éteinte. Très désagréable. Elle fait mal aux yeux, elle est triste.. Elle rend triste. Oui, c’est vraiment l’impression qu’elle donne. Et pourtant, en l’instant présent, elle n’affectait aucunement Ryûzaki. Le jeune homme se sentait bien, heureux. Il était avec son frère, il allait voir sa maison, passer du temps avec lui. Tout était bien. Le sourire qu’il avait fait, quelques minutes plus tôt, était resté comme figé sur ses traits. Gravé en lui, imprimant ce bonheur sur tout son visage. Imprégnant tout sa personne de cette liberté, de ce bien-être. Un bien-être léger et sincère, ça se voyait. Et, tandis qu’il se laissait aller à imagine l’habitation de son cher petit frère, notre nippon entendit celui-ci parler. Lui, par contre, il n’avait pas l’air de très bonne humeur. Mais vu le temps qui pointait le bout de son museau, ça se comprenait. De plus, il n’était pas certain qu’il ait apprécié le comportement de Ryûzaki, mais bon. Il lui avait quand même proposé de l’emmener chez lui, non ? Si. Et c’était le plus important, en fait.

« Va falloir se dépêcher. »

Le brun lança un regard interrogateur à Teika, se demanda pourquoi il fallait presser le pas, si soudainement. Mais la réponse lui fut apportée presque aussitôt ; une goutte de pluie venait de s’écraser sur sa joue. Elle coula le long de sa peau lisse et blanche, laissant un sillon humide dessus, comme si le bel asiatique venait de verser une larme. Puis, la malheureuse goutte d’eau se détacha du visage de Ryûzaki, pour finir sa course écrasée contre le sol froid, telle une perle qui aurait éclaté en un million de tout petits morceaux. Le sourire de notre homme s’élargit un peu plus encore. Il leva la tête vers le ciel, comme si il voulait voir d’où s’était échapper cette minuscule goutte limpide. Pour toute réponse, une multitude de perles, semblables à la première, se mirent à tomber. Ryûzaki avait envie de rire. Il aimait la pluie. Allez savoir pourquoi. Peut-être parce qu’elle et ses nuages ténébreux s’associaient bien avec lui, sa personne, son physique, son caractère. Sans doute, en fait. Mais on ne lui laissa pas le temps de contempler les miracles de la nature..

Le jeune Naïto venait de lui saisir fermement la main, sans l’ombre d’une hésitation. Passer du point mort à la vitesse quatre laissa Ryûzaki sans voix, mais il suivit le rythme de la marche à la perfection. Visiblement, son petit frère, lui, n’appréciait pas vraiment la pluie. Peut-être le fait d’être mouillé, de ruisseler en rentrer chez lui, lui déplaisait-il ? Exactement comme pour les chats, qui ne peuvent pas mettre une patte dans l’eau sans ronchonner ? Notre solitaire regarda la main qui avait saisit la sienne. Elle était douce et chaude, malgré le froid ambiant. Rassurante. Ce contact était très agréable. Il créait un contraste particulier avec la glace des jours d’automne, mais c’est ça qui faisait son charme. À mesure que les deux hommes marchaient (couraient ?) côte à côte, Ryûzaki tentait d’imaginer son frère en chat, ce qui l’amusait beaucoup. Il trouvait ça mignon, mais se contentait de garder ça pour lui. Vu son caractère, il n’était pas sûr que Teika prendrait bien cette comparaison. D’ailleurs, il était tellement occupé à observer le rouquin, qu’il ne fit même pas attention au chemin qu’ils empreintaient. Il savait juste que des ruelles – et sans doute des raccourcis – défilaient autour de lui.

Au bout d’une minute, lorsque la pluie se fut plus abondante, le froid plus mordant, le jeune Naïto ôta sa veste, et la déposa délicatement sur les épaules de son grand frère. L’intéressé put sentir ce parfum à la fois si familier et si lointain qu’était celui de Teika, plus intensément. Il ferma même les yeux, l’espace d’un court instant. Et les rues continuaient de défiler. Ce petit manège dura une dizaine de minutes – ce qui parut relativement court, aux yeux de Ryûzaki – avant que les deux hommes n’arrivent à destination.

Lorsque Teika s’arrêta enfin devant le portail qui devançait sa maison, le brun se rendit compte que ses doigts étaient toujours mêlés à ceux de son frère. Il observa la demeure, puis sentit le mouvement reprendre. Enfin, le rouquin s’immobilisa pour de bon sur le paillasson, et lâcha la main de Ryûzaki pour extirper ses clés de la veste toujours posée sur les épaules de l’aîné.

Un bruit de ferraille, une poignée qui se tourne, une porte qui s’ouvre.

Ils entrèrent. Teika ne souffla pas un seul mot. Dans une précipitation suprême, il envoya bouler ses chaussures et courut presque jusqu’à la salle de bain. Oui, un vrai chat. Pressé de se sécher, de se débarrasser de cette foutue flotte. Lorsque le rouquin eut disparu dans ladite salle de bain, le brun fit quelques pas à l’intérieur de la maison. C’était grand, c’était beau. Harmonieux. Pas comme chez lui, où le désordre était roi. Il observa la décoration, l’ameublement, laissant son regard voguer au gré de ses envies. Puis, le jeune Naïto réapparu, une serviette de bain sur les cheveux. Ryûzaki ne s’était pas trompé. Pourtant, lui aussi, il était trempé jusqu’aux os – peut-être un peu moins que Teika, si on compte la veste – et ça ne le dérangeait pas. Bah. Chacun ses manières.

« Voici mon chez moi, mais tu peux faire comme chez toi hein. Si tu veux quelque chose, dis le moi. T'façon là va falloir que j'annule le rendez vous, c'est mort avec ce temps pourri. »

Ryûzaki ne put s’empêcher de sourire, étant cependant conscient de son égoïsme. C’était bonne nouvelle sur bonne nouvelle. D’abord, il apprenait qu’il allait voir la maison de son petit frère, et voilà que maintenant, il pouvait être sûr d’avoir Teika pour lui tout seul. Parfait. C’était une belle journée en perspective. Enfin, si ils déjeunaient ensemble, et si le brun restait l’après-midi – ce qu’il espérait profondément. Voilà de quoi rattraper le temps catastrophique et la pluie qui ruisselait, dans la rue. Ryûzaki inclina la tête, en signe de remerciement, et imita le rouquin en enlevant ses chaussures. Il ne voulait pas salir les lieux, voyez-vous. Il se rendit aussi compte qu’il avait toujours la veste de l’autre sur les épaules. Il l’enleva ; elle dégoulinait de partout. Teika l’en débarrassa, avant de prendre son téléphone portable resté sur la table basse. Il composa un numéro, et sembla laisser un message sur le répondeur de son interlocuteur, ou plutôt, interlocutrice. Un message direct et légèrement.. odieux.

« On annule. Bye. »

Même pas un « je t’aime » ni rien ? Peut-être n’était-ce pas sa copine ? Et d’ailleurs, en avait-il une ? Si oui, comment était-elle ? Et lui, comment se comportait-il, avec elle ? Toutes ces questions tourmentaient Ryûzaki, mais il décida d’être patient, et de ne pas poser trop de sujets délicats sur la table dès le premier jour. Si il voulait se faire aimer, si il voulait que son petit frère lui fasse confiance, il devait avoir un minimum de tenue. Et de toute façon, il n’était pas du genre ‘curieux’, à demander des renseignements sur tout à tout va.

Teika était-il énervé ? Il balança son téléphone sur la table, un peu trop fort.. Et voilà que le téléphone s’éparpillait en mille morceaux sur le sol. La batterie d’un côté, le couvercle de l’autre.. Semblant vomir un flot d’insultes intérieures, le rouquin ramassa son bien et le reconstitua, avant de le poser à sa place. Comme pour se calmer, il attrapa un vers, le remplit d’eau et l’avala d’une traite. Une quinte de toux le prit à la gorge, il avait presque manqué de s’étouffer. Ryûzaki, gêné, restait là, à l’observer faire les cents pas, nerveusement. Mais, au bout d’un moment, Teika se prit les pieds dans je-ne-sais-quoi, perdit l’équilibre et bascula en avant.. tout droit sur son grand frère, qui n’eut pas assez de force pour le retenir dans sa chute libre. En une demi-secondes, ils se retrouvèrent par terre, sans comprendre ce qui venait de leur arriver. Le jeune Naïto était rouge tomate, très embarrassé.

« OMG ! Pardon, pardon !

- C’est.. c’est rien, ne t’inquiètes pas.. »

Cependant, Ryûzaki était, lui aussi, inhabituellement écarlate. Mais un sourire craquant tirait sur ses traits bridés. En cet instant, il semblait à la fois gêné, amusé et très heureux. Même si leur position était quelque peu.. étrange. Si quelqu’un les avait vu là, comme ça, il aurait été forcé de penser des choses.. Le rouquin était à moitié à cheval sur le brun. Leurs regards se croisèrent, Ryûzaki souriait toujours, comme pour rassurer son frère. Lui faire comprendre que ce n’était pas grave. En fait, ça lui plaisait. Les yeux dans les yeux, les deux hommes s’observèrent, l’espace de quelques secondes. Le temps sembla s’arrêter. Leurs mouvements figés. Ils ne bougèrent pas. Les jours de l’aîné rosirent de plus belle, et il détourna le regard, embarrassé. Aussitôt, comme si ça avait été un élément déclencheur, le jeune Naïto se releva précipitamment, tendant une main au brun qui la saisit et suivit le mouvement. Ryûzaki décida de changer de sujet, même si il garda son teint rouge léger.

« J’ai un peu regardé ta maison.. Elle est sublime ! En tout cas, bien mieux que mon petit appartement. On dirait un trou à rats. Je te fais peur ? Alors il serait préférable que tu n’y mettes jamais les pieds ! »

Ryûzaki laissa échapper un fragment de son rire cristallin, qu’il découvrait en même temps que Teika. C’était la première fois de sa vie qu’il riait. Et c’était étrangement agréable. Ses traits se détendaient enfin, et peu à peu, il se libérait de cette éternelle tristesse qui lui tenaillait les entrailles. Sa vie changeait, et il comptait bien en profiter pour changer, lui aussi. D’ailleurs, le fait qu’il venait de parler plus de deux secondes représentait bien cette idée d’aller de l’avant, de s’ouvrir, de s’épanouir, telle une fleur. Après tout.. « il n’est jamais trop tard. »

« Est-ce que.. Est-ce que je peux rester, manger avec toi ? C’est que.. comme je ne suis pas retourné à l’épicerie.. »

Le brun baissa la tête, un peu honteux de ce qu’il venait de demander. Au fur et à mesure qu’il bafouillait ces quelques mots, la couleur de ses joues s’était encore renforcée. À peine arrivait-il chez son petit frère, qu’il se devait déjà de lui demander un service. Mais bon. Il n’avait aucune idée derrière la tête. Il voulait juste manger avec Teika, comme deux.. Amis ?..

{ Pas trèèès long, mais je voulais voir la réaction de Teika (: Et ne va pas trop vite dans tes posts, que j'ai aussi le temps de réagir ^0^ }

Teika était étrange. Il semblait comme.. déboussolé. Il ne souriait presque pas, il semblait penser intensément. Peut-être n’était-il pas vraiment dans son assiette, ce jour-là.. ? En même temps, il avait bien failli se faire violer le matin-même, alors ça pouvait se comprendre. Ryûzaki n’imaginait même pas ce qu’il se serait passé, si il n’avait pas été là. Pour une fois qu’il avait pu se rendre réellement utile, et même s’il n’avait pas été très poli ensuite, il était content de lui. Il faisait des progrès. Devenait plus heureux, plus social.

« Et con... »

Et con ? Pourquoi disait-il cela ? Décidément, Ryûzaki n’était pas le seul à être bizarre. Il ne comprenait pas. Le rouquin semblait maintenant réfléchir à voix haute, ou du moins prononcer la suite de ses pensées. De qui parlait-il ? Du brun, ou de lui-même ? Ou bien était-ce tout autre chose ? En tout cas, le rouquin sembla mécontent d’avoir prononcer ces deux petits misérables mots. Ryûzaki ne s’attarda pas là-dessus, il voulait mettre son petit frère à l’aise – bien que c’était loin d’être une tâche aisée. Il essaya donc un peu d’humour à sa façon, qui aurait d’ailleurs amusé n’importe qui, il en était sûr.

« J’ai un peu regardé ta maison.. Elle est sublime ! En tout cas, bien mieux que mon petit appartement. On dirait un trou à rats. Je te fais peur ? Alors il serait préférable que tu n’y mettes jamais les pieds ! »

Teika esquissa un minuscule sourire, presque forcé, qui s’effaça tout de suite après. Ryûzaki était déçu, vexé. Il cessa donc de sourire, lui aussi. Il avait un peu honte d’avoir ris seul. Il regarda son cadet se diriger vers l’escalier pour en monter les quatre premières marches. Pourquoi était-il si froid, ce joli roux ? On aurait dit qu’il avait presque oublié avoir un invité. Après tout, le jeune Honzo n’était pas chez lui, il n’avait vraiment pas envie de suivre son frère à l’étage. Ce dernier avait-il oublié son existence ? La situation était bizarre. Teika était bizarre.

« Est-ce que.. Est-ce que je peux rester, manger avec toi ? C’est que.. comme je ne suis pas retourné à l’épicerie..
- Bien sûr. »

Deux mots. Whahou.. (!) Quelle chaleur, quelle voix accueillante et agréable à entendre ! Quel ton enthousiaste ! Le rouquin se retourna et fit marche arrière, puis il fixa son aîné droit dans les yeux. Là, c’était Teika qui faisait peur, en fait. Et pour renforcer cet étrange sentiment, le rouquin fit un immense sourire instantané, qui ne rendit pas le sien à Ryûzaki. Celui-ci se sentait terriblement attristé. Son frère n’avait pas l’air d’apprécier sa compagnie.. Pourtant, il faisait de son mieux, vraiment ! Mais restons calme. Le plus jeune des deux se dirigea vers la cuisine, y entra en laissant notre japonais planté au beau milieu du séjour, mal à l’aise. Une fois entré dans la pièce, Naïto cria à demi :

« Je vais faire à manger si tu veux.
- Ok.. »

Il avait murmuré sa réponse, étant conscient qu’elle ne parviendrait pas jusqu’aux oreilles de son frère. Ryûzaki fit deux pas vers le milieu du salon, regardant encore une fois les détails de la salle dont il avait déjà fait le tour. Il entendit, sans écouter, Teika ouvrir un réfrigérateur, puis des placards. Il y eut le bruit d’une chaise qu’on tire vers soi, puis plus rien. Le brun se sentait mal, là, tout seul dans le living. Il se demandait s’il avait bien fait d’accepter l’invitation. Etrange comme ses sentiments défilaient vite. Il y avait encore quelques minutes, son sourire persistait, tel un rayon de soleil qui perce à travers les nuages, avant d’être englouti par leur voile sombre et épais.

La mauvaise humeur de son frère l’avait gagné.

Au bout d’un laps de temps qui lui parut infiniment long et éternellement désagréable, Ryûzaki entendit un immense vacarme, dans la cuisine. Un bruit sourd de porcelaine brisée. Puis un nouveau cri s’en suivit.

« Ryû, j’ai besoin d’aide ! »

L’intéressé daigna enfin bouger. Maussade, il poussa distraitement la porte de la cuisine et contempla les dégâts. Il compris pourquoi Teika l’avait appelé. Il était encerclé de millions de morceaux d’assiettes cassées, et ne pouvait même pas faire un pas. Ryûzaki attrapa le balais qu’il repéra près de la table. Il dégagea comme un chemin pour son frère, à travers les débris de vaisselle. Pas un mot, pas un sourire. Juste un service minimum. Il voulait que son frère sache quelle impression il dégageait, il voulait lui rendre sa mauvaise humeur injustifiée.

Leur relation.. Ce n’était pas gagné.

{ Naah, no panic tout va bien, c’était super puce =). Bien sûr qu’faut faire avancer les choses 8D. JE VEUX LA DISCO èé }

Ryûzaki haussa un sourcil, un regard suspicieux posé sur son cadet. Etait-ce sa présence-même qui le rendait si.. bizarre ? Ou peut-être était-ce lui, qui était bizarre, se dit notre brun. Finalement, il ne se sentait plus aussi bien. Avait-il rêvé ? Pensé des choses beaucoup trop vite ? Et dire qu’un quart d’heure plus tôt, ils étaient enlacés par terre, près d’un banc… Et dire qu’ils avaient partagé un petit-déjeuner… C’était bizarre. La situation était bizarre, en elle-même. Pourquoi ? Bonne question. Ryûzaki avait la sensation d’être un monstre, comme toujours, en fait. Faisait-il si peur ? Il se sentit triste, mal, sentait une boule se nouer dans sa gorge. Mais il resta de marbre, ne montrant aucun de ses sentiments à même son visage.

Un soupir, et Teika descendit de sa chaise. Il marcha, s’arrêta devant son aîné pour lui arracher le balais des mains.

« Je vais nettoyer le reste. Le repas est servi en tout cas, il ne te reste plus qu'à faire légèrement préchauffer dans le micro-ondes et ce sera bon. Par contre je suis désolé, c'est du surgelé .____. »

Ah. En plus d’être à moitié ignoré – ou pris pour un chien, c’est comme vous voulez –, Ryûzaki devait terminer de préparer le déjeuner lui-même. Bon, il resta calme et attrapa le plat sur le pouce, qu’il fourra dans le micro-onde, claquant à moitié la petite portière quand même. En temps normal, jamais il n’aurait fait cela. Il se serait renfermé, et aurait pris la fuite. Mais pas cette fois. Il voulait faire face, parce qu’il aimait son frère. Il voulait aimer son frère. Une seule question se posait.. « Y arriverait-il ? »

Teika balaya le reste des débris d’assiettes. Il ramassa les plus gros à la main, s’entaillant même le doigt avec l’un d’eux. Le sang gicla, puis le rouquin s’empressa de le lécher. Ryûzaki n’aimait pas le sang… Etrange pour quelqu’un ayant une telle apparence, mais il en a une sorte de phobie. C’est pourquoi il détourna les yeux, au lieu de demander à Teika si il avait besoin de quelque chose.

« DIING. »

Ryûzaki ouvrit le micro-onde, en sortit leur déjeuner et le posa sur la table, tira bruyamment une chaise et s’assit. Son petit frère l’imita. Quelle ambiance… Personne ne parlait, et les deux hommes n’osaient même pas se regarder… Qu’y avait-il entre eux ? N’était-ce que du vide… ? Teika attrapa un sushi et le mangea, lorsque…

« DRIING. »

Le téléphone du rouquin sonna. L’intéressé jeta un regard indéchiffrable à Ryûzaki, puis se leva et dégaina son téléphone portable, qui avait survécu à l’attentat subit précédemment.

« Allo ?
- Teika, c'est moi.
- Ahhh euh... Ana. »

Teika jeta un œil à son aîné, lui faisant signe de se taire. Et là, même si – bien entendu –, il ne le fit pas, Ryûzaki eut envie de crier dans le combiné, aussi égoïstement qu’il avait l’impression d’être.

« Pour le rendez vous, c'est bon en fait. J'ai réussi à décaler mes projets ce qui nous laisse le temps de pouvoir nous voir, s…
- Ana, je ne peux pas. T'as vu ce temps pourri dehors. Le jeune homme marcha en direction de la fenêtre et regarda au travers. En plus on a annulé, alors je te dis... à jamais. »

Le rouquin raccrocha au nez de son interlocutrice.

Cette réponse à laquelle il ne s’attendait vraiment pas le choqua ; Ryûzaki regarda son petit frère, à moitié dégoûté de ce comportement, à moitié surpris. Il ne savait plus quoi penser de Teika, il se sentait mal… D’ailleurs, le roux venait de reposer ses fesses sur sa chaise, en face de son aîné. Remarquant sans doute le regard de ce dernier, il haussa les épaules, maussade.

« Je crois que… je ferais mieux de m’en aller. »

Il poussa sa chaise à regret, se leva à son tour, très lentement. Il fit un pas vers la porte de la cuisine. Intérieurement, il s’excusa de son propre comportement,… mais ça avait été plus fort que lui. Il sentait bien qu’il mettait Teika mal à l’aise, qu’il n’était plus le bienvenu. Et il ne voulait pas de ça. Inconsciemment, il espérait sentir une main se poser sur son bras… Une main qui le retiendrait… Celle qui lui avait déposé la veste sur les épaules, et non celle qui appartenait à l’homme qui venait de raccrocher au nez de sa petite amie.

Ryûzaki sentait ses larmes, comme figées au creux de ses yeux. Et d’un autre côté, son cœur battait. Pourquoi si fort ? Peut-être parce qu’il était en colère, ou peut-être pour une toute autre raison…

{ « Dit-il d’un ton silencieux » x). }

Il allait ouvrir la porte, ça y était. Il venait d’effleurer la poignée de sa main froide, et l’autre homme n’avait pas réagit… Du tout. Il n’avait même pas daigné bouger le petit doigt. Sans doute considérait-il que Ryûzaki n’était pas une grande perte, tout comme la dénommée « Ana » au nez de qui il avait raccroché quelques secondes plus tôt. Et sans doute avait-il raison. Ryûzaki n’était pas une grande perte. Lui-même en était persuadé. Comment pouvait-il en faire autrement ? Teika n’avait même pas parlé, même pas prononcé un traître mot. Il n’avait rien dit. Le brun aurait préféré entendre quelque chose, quitte à ce que c’eut été un « va te faire voir ! » ingrat. Maintenant, il ne savait pas comment prendre ce moment qui se déroulait à une vitesse anormalement lente. Il aurait tellement voulu entendre une chaise glisser puis le rouquin se lever, ou l’interpeller en lui demandant de rester… Ryûzaki espérait toujours cela. Alors, il s’attardait un maximum, ralentissait ses gestes, faisait durer plus longtemps sa sortie de la maison du roux. Il venait de saisir la poignée à pleine main, et il allait la tourner lorsque…

« Je… Ne pars pas s’il te plaît. Reste… »

En une fraction de seconde, Teika s’était précipité vers la porte pour y coller son dos, et prononcer ces quelques mots. Il empêchait enfin le brun de franchir le seuil de sa demeure, au grand soulagement de celui-ci. Le rouquin baissa la tête, puis la releva lentement, et Ryûzaki put voir ses yeux briller anormalement. Il était sur le point de pleurer, et ne le dissimulait pas. Le grand brun lâcha alors la poignée et recula d’un pas. À quoi jouait son petit frère ? Cette larme qui venait de prendre naissance sur sa joue… Etait-ce un stratagème, une manipulation pour l’attendrir et l’inciter à rester ? Ou était-ce sincère ? Ryûzaki préférait adhérer à la deuxième solution, bien qu’il gardait quand même la première en tête. Il se méfiait bien sûr, car il s’était déjà fait avoir bon nombre de fois. Refaire la même erreur ne déchirerait qu’un peu plus son pauvre cœur déjà bien entamé.

La scène resta comme suspendue dans le temps, et les deux frères se regardaient, du plus profond de leurs quatre yeux au fond desquels brillait la même lueur. Puis, les jambes de Teika tremblèrent, et leur propriétaire les laissa céder sous son poids pourtant faible. Il se laissa donc glisser contre sa propre porte d’entrée, et s’assit sur le sol au ralenti, étendant ses jambes devant lui. Mais bon sang, qu’avait-il ?! Ryûzaki regarda son cadet, intrigué et inquiet pour lui. De nouvelles perles venaient de couler sur sa peau blanche, laissant des sillons humides que le rouquin s’efforça d’essuyer, d’un revers de manche. Le brun était comme paralysé. Il ne savait pas quoi faire, il n’arrivait pas à réagir. Il aurait voulu s’agenouiller devant son petit frère et le prendre dans ses bras, ou bien lui demander doucement : « Pourquoi ça ne va pas ? ». Et peut-être même pleurer avec lui, qui sait ? Mais il n’y parvenait pas. Il arrivait juste à rester là, debout, à fixer Teika qui semblait attendre ce genre de réaction. Mais les secondes s’écoulèrent et rien de plus ne se passa. Alors le rouquin reprit la parole, d’une voix tremblante et encore pleine de sanglots étouffés.

« Excuse-moi… J’ai agit… »

« J’ai agit… » ? Et bien, comment avait-il agit ? Quel mot voulait-il sous-entendre par là ? Ryûzaki aurait voulu poser la question, mais il n’arriva même pas à ouvrir la bouche. Pourquoi perdait-il tous ses moyens face à Teika ? Pourquoi avait-il l’impression d’être muet comme une carpe ? Il ne trouvait aucune réponse à ses interrogations intérieures. Alors il se contenta d’observer le jeune garçon se relever, puis avancer vers la salle de bain en effleurant l’avant-bras de son invité au passage – lequel en frissonna à moitié.

« Vers 17h, je t’emmène… »

Quoi ? Où ça ? Le rouquin était-il en train de divaguer… ? Que voulait-il dire par « je t’emmène… ». Ryûzaki entrouvrit la bouche mais aucun son n’en sortit. Se sentant légèrement ridicule, il la referma lentement et regarda Teika entrer dans la salle de bain en prenant soin de la clôturer derrière lui. Mais que se passait-il, dans cette salle de bain ? Pourquoi s’y était-il enfermé de nouveau ? Ca paraissait suspect… Et ça dura longtemps. Que pouvait-il bien faire ? Le brun avait envie de pousser la porte, mais par respect pour son petit frère il s’en retint.

Les minutes s’écoulèrent. Et, enfin, Teika apparut de nouveau dans l’encadrement de la porte. Il adressa un faux grand sourire à l’aîné et l’interpella :

« Finalement, on peut y aller maintenant ?
- Euh… eh bien… oui… ! »

« Aller où ?! » s’exclama intérieurement Ryûzaki. Mais il décida de se laisser guider par son instinct, espérant juste que leur imprévue sortie n’allait pas se voir annulée par le rouquin, comme cela avait été le cas pour la pauvre dénommée « Ana ». Cependant, une chose tracassait encore le beau brun ; qu’est-ce que Teika avait bien pu fabriquer, enfermé seul dans la salle de bain ? Surtout qu’il en était ressorti inchangé : même visage un peu triste, mêmes fringues, même accoutrement, même allure… C’était étrange. Il y avait sûrement baleine sous gravillon – cherchez pas 8D –, et Ryûzaki aurait bien aimé savoir de quoi il s’agissait. Alors, pour la première fois depuis de nombreuses et longues minutes, il osa enfin montrer qu’il n’avait pas perdu la parole.

« Que… Qu’est-ce que tu faisais, là-dedans… ? »

Il désigna la salle de bain d’un léger coup de tête intrigué, comme si la pièce désignée avait été le couloir de la mort. Et cela devait se voir à son expression : il était inquiet pour le rouquin. Et parfaitement incapable de le dissimuler, d’ailleurs. En fait, Ryûzaki ne se reconnaissait même plus… D’habitude, il s’en serait royalement fiché. Mais son intuition lui disait que Teika avait besoin d’aide, qu’il n’allait pas bien et qu’il n’était pas clair. Et les sentiments qu’il avait envers son petit frère le poussait à suivre cet instinct protecteur – malgré tout et même lui – que lui avait confié son rôle d’aîné secret et mystérieux.

{ MDR, arrête j’étais trop fière de pouvoir le caser celui-làà 8D. }

« Eeuh… excuse-moi je reviens… »

Encore ? Non, là ça en devenait carrément louche. Il ne fallait tout de même pas prendre Ryûzaki pour un con. D’ailleurs celui-ci venait de remarquer la gène de Teika. C’était certain, il lui cachait quelque chose. Mais le brun n’eut pas le temps d’en demander plus parce que l’autre s’était déjà renfermé dans la salle de bain. Et ça dura encore quelques minutes de plus, minutes pendant lesquelles notre nippon ne fit que de se ronger les sangs encore plus qu’avant. Il s’approcha de la porte et y posa la main à plat, y colla même son oreille mais n’entendit rien. Il eut ensuite envie d’ouvrir et de voir ce qui se passait derrière ce foutu panneau, mais fut bien obligé de s’en retenir malgré lui. Après tout, à chacun ses secrets…, il était lui-même bien placé pour le savoir. À peine s’éloigna t-il de la porte qu’elle s’ouvrit, et il manqua de peu d’être pris la main dans le sac. Mais Teika était sans doute bien trop préoccupé pour remarquer la gène de Ryûzaki.

« Que… Qu’est-ce que tu faisais, là-dedans… ?
- Haa… J’étais juste en train de me préparer, étant donné que l’on sort ce soir. »

L’excuse ne tenait absolument pas la route, et Ryûzaki eut la double impression d’être pris pour le dernier des imbéciles, ce qui l’énerva un peu. Mais il garda son calme. Alors comme ça, il se… « préparait ». À lui d’expliquer pourquoi il n’avait pas changé d’un poil. Non mais vraiment quoi~ c’était illogique. Il avait quelque chose à cacher. Quelque chose d’important. Quelque chose de… grave ? Le grand brun chercha à croiser le regard de son petit frère mais n’y parvint pas, ce dernier fuyait de toutes ses forces. Il s’esquiva d’ailleurs une fois de plus, et Ryûzaki s’attendait à le voir repartir vers la salle de bain, mais non. Il emprunta l’escalier et disparut à l’étage. N’en avait t-il pas marre de faire sans cesse attendre son pauvre invité ?

Lorsqu’il redescendit précipitamment l’escalier, il portait un morceau de tissu à la main. Il le passa sans prévenir autour des yeux de son frère et le serra délicatement, pas trop fort, juste pour s’assurer que Ryûzaki n’allait rien voir à l’avance. Dans le noir qui l’entourait à présent, le brun entendit la voix de Teika, à présent étouffée puisque le bandeau passait également sur ses oreilles.

« Ne t’inquiètes surtout pas. C’est une surprise. »

Ryûzaki n’appréciait pas spécialement le fait de ne plus rien voir de ce qui l’entourait. Il estimait être resté dans le noir trop longtemps, alors y replonger ne l’enchantait pas du tout. Il aurait pu arracher le foulard qui lui bandait les yeux, mais n’en fit rien. Au fond, c’est parce qu’il faisait confiance à son petit frère qu’il se laissait prendre au jeu. Il sentit les mains du rouquin lui encercler les épaules. Ce contact le rassurait. L’obscurité n’était plus si sombre, lorsque Teika était près de lui. Alors il ferma les yeux sous son bandeau et sourit sincèrement. Un frisson le parcourut lorsqu’un souffle chatouilla ses tympans de plus près qu’il ne s’y attendait.

« Ce soir, je vais te faire danser. »

Ryûzaki entendit un interrupteur basculer, puis une porte s’ouvrir. Il se laissa guider vers la sortie de la maison, avançant à petits pas, prudemment. Il détestait le noir. Il détestait ne pas voir où il allait. Ca lui faisait peur. Mais pour Teika, il vaincrait cette peur. Et comme pour se rassurer, comme pour se persuader que son petit frère était toujours bien là, près de lui, il posa sa main sur celle du rouquin, essayant de ne pas trop se crisper. Son sourire n’avait pas disparut, et les derniers mots que Teika avait soufflés au creux de son oreille résonnaient encore dans sa tête. « Ce soir, je vais te faire danser. » Ils l’inquiétaient un peu, eux aussi. D’une voix tremblante et timide, Ryûzaki chuchota :

« Te… Teika… Je ne sais pas danser… »

Il venait de s'en rendre compte… Personne ne lui avait jamais appris à le faire.