White Lines {PV - Misa}

Les couloirs d'habitude si calmes du lycée Yamaguchi résonnaient ce jour là d'une course effrénée. Masumi Kyoka, lycéenne en dernière année, dévalait les escaliers comme si sa vie en dépendait. A vrai dire, elle ne s'émouvait normalement jamais d'arriver en retard. Seulement ce jour précis était une exception : si elle osait pointer le bout de son museau une seconde trop tard au cours d'informatique, elle serait directement envoyée dans le bureau du terrifiant directeur. Kyoka jeta un regard furtif à sa montre. Il lui restait exactement quinze secondes. Allongeant encore ses foulées, elle dévala le dernier escalier. Dix secondes... Elle se précipitait dans le couloir. Huit secondes... Elle remontait à toute vitesse l'endroit désert. Trois secondes... Elle arrivait enfin, essoufflée comme jamais, devant la porte de la salle.
Avec un sourire triomphal posé sur ses lèvres, la jeune Masumi pénétra dans la salle informatique à l'heure exacte. Comme pour souligner sa ponctualité, la sonnerie du lycée retentit à son entrée.

"Kyoka !"

La professeur d'informatique, ou la vieille chouette comme la surnommait affectueusement Masumi, se précipita vers la nouvelle arrivée. Ce n'était pas une enseignante tordue, vicieuse, ou encore totalement sadique, mais elle était plus qu'à cheval sur la ponctualité, ce qui créait de nombreuses tensions entre elle et la jeune lycéenne.

"Placez vous devant un poste avec un de vos petits camarades. Je ne veux pas entendre un bruit."

Masumi choisit de s'asseoir tout au fond, et fit un léger sourire à sa "compagne d'ordinateur". A vrai dire, elle avait déjà oublié que pour ce cours deux classes d'élèves différents étaient mélangées. La jeune fille posa son manteau et son sac sur une chaise voisine, et attendit patiemment les consignes de la professeur.
Masumi se passa doucement la main sur son front encore douloureux. Elle s'était étalée en beauté moins d'une demie-heure avant, et sentait une petite bosse faire son apparition. Elle n'y fit pas plus attention, et se réintéressa au discours de l'enseignante.

Chaque binôme devait se familiariser sur Word. Et pour ce faire, les élèves devaient remplir tout un formulaire sur la personne avec qui ils travaillaient.
Masumi se contenta de prendre une feuille de questions, et se tourna vers la jeune fille qui occupait la chaise voisine.

"Je te propose de commencer tout de suite. Plus vite on finit, plus vite on peut sortir du cours."

Elle fit un léger clin d'œil à l'inconnue, et commença à la questionner :

"Nom, prénom, âge ?"

Masumi se positionna devant l'écran, prête à taper les réponses.

En regardant sur son horaire aujourd'hui, Misa avait aperçu qu'elle avait cours en informatique. Elle n'y connaissait absolument rien, mais rien. Pour elle, l'ordinateur se résumait à MSN, photoshop et des vidéos drôles pour amuser ses moments de solitude. Elle se prit d'avance et arriva plus tôt à son cours, n'ayant rien de prévu ce matin pour l'empêcher d'arriver à l'heure exacte. Misa avait passé une nuit blanche à regarder des vieux films américains. C'était un vrai oiseau de nuit pourtant il n'y avait aucun signe de fatigue présent chez elle ce matin. C'est vers le milieu de la journée que ces actes prendraient effets et elle le savait éperdument pour avoir répéter le même scénario plusieurs fois.

Elle avait ses écouteurs, attendant que le cours commence. Quelques minutes passèrent et une jeune femme s'installa à côté d'elle. Misa répondit à son sourire, réalisant qu'aujourd'hui on devait travailler avec un partenaire. Elle abaissa ses écouteurs, la musique toujours présente pour entendre sa partenaire.

Misa aimait bien le concept de commencer pour terminer. Quelques fois pour la demoiselle, les travaux donnés par les 'conspirateurs' comme elle aimait bien surnommé ses professeurs, étaient similaire à une ancre à bateau attachée à sa cheville. Heureusement, en équipe, la jeune femme se disait que le poids était divisé.
Lorsque Misa entendit les questions elle grimaça un peu. Elle aurait voulu des questions plus amusantes pour faire changement mais apparemment, la direction avait utilisé la bonne vieille méthode.
Elle rendit les questions un peu plus originale en s'imaginant être en speed dating avec sa camarade.

Hasegawa, Misa, 17 ans. dit-elle en fixant l'écran d'ordinateur.

En ce moment elle n'avait qu'une idée, aller faire sa parfaite adolescente mollusque sur l'ordinateur comme elle faisait si bien pendant ses nuits d'insomnie.

Tu dois répondre aussi. dit-elle, curieuse de mettre un nom au nouveau visage.

Attendant les réponses de la jeune femme, Misa fouilla dans son sac pour finalement en sortir... de la nourriture. Elle dévora tout bonnement, oubliant les règles de l'établissement.
Cela ne prit pas plus d'une minute avant que la conspiratrice de la classe lui rappelle comment cela marchait dans cette école.

'Mademoiselle Hasegawa, est ce une habitude de manger dans les cours ou si vous le faites exprès.'

Les joues gonflées par la nourriture, Misa regarda la femme sans expression. Elle avala sa bouchée et se tourna pour ranger le restant de son repas en chuchotant.

Ils conspirent tous contre moi...

Masumi avait les yeux rivés sur l'écran d'ordinateur. Elle écrivit rapidement les données concernant sa voisine. Misa Hasegawa... à vrai dire, le nom ne lui évoquait rien.

"Kyoka Masumi... 18 ans."

La lycéenne devait toujours réfléchir avant de donner son âge exact. Ce n'était pas qu'elle était demeurée, mais l'habitude de traîner avec des personnes plus âgées faussaient ses repères.

Se tournant vers sa compagne, elle la vit enfourner un morceau de nourriture. Masumi l'observa, étonnée. Elle s'était imaginée être assise près d'une élève ordinaire, une de celles qui semblaient clonées par dizaines, pour finalement découvrir que ce n'était pas le cas. Quelle heureuse surprise.

Masumi entendit sans surprise les remontrances de la vieille chouette. C'était prévisible.
Ce fut la remarque étouffée de la jeune étudiante gourmande qui manqua de faire s'étouffer Kyoka. Cette dernière se mit à littéralement exploser de rire, écroulée sur son bureau. Elle était tellement habituée aux lycéens sans personnalité, dont les affirmations se calquaient les unes aux autres, qu'entendre la jolie Misa parler de conspiration des professeurs était semblable à un bol d'air frais.

Masumi se tourna vers Hasegawa, et d'un visage sérieux elle énonça :

"On répond à ces questions en un quart d'heure top chrono, et ensuite je t'invite à la cafétéria."

Elle ajouta rapidement :

"Je meurs littéralement de faim."

Reprenant le questionnaire en main avec une expression déterminée, elle poursuivit :

"Situation familiale et biographie... Ooow. Ils osent nous poser des questions super personnelles."

Masumi fronça les sourcils, visiblement ennuyée. Elle refusait de livrer à la vieille chouette des données aussi intimes.

"... et si on inventait ?"

Un sourire d'ange se forma sur ses lèvres.

Suite aux réprimandes du professeur, Masumi se mit à rire comme c'était interdit. Misa la regardait, les yeux grand ouverts. Elle ne savait pas trop pourquoi elle riait mais elle lâcha elle aussi quelques rires, voulant accompagner sa camarade.

Elle fixa Masumi pour l'entendre dire une agréable chose. Elle l'invitait actuellement à aller manger à la cafétéria dès leur travaux terminé. Misa se frotta les mains en souriant.

Quelle généreuse idée. dit-elle, un sourire imbécile aux lèvres.

La jeune femme spécifia ensuite qu'elle avait faim. Misa voulu sortir quelque chose de son sac à offrir à la demoiselle mais sa mémoire de poisson rouge lui rappela ce qui venait juste de se passer. Au lieu de ça, elle ajouta simplement.

Oh moi aussi. à voix basse, comme pour établir un fait.

Lorsqu'une quelconque personne lui faisait part de sa faim, la réponse qui sortait sans cesse de la bouche de Misa était moi aussi. Même lorsqu'elle n'avait pas faim. Elle ne connaissait rien de Masumi excepté les faits aucunement révélateurs de sa personnalité mais pour Misa, elle venait de gagner des points dans la jauge d'appréciation juste en l'invitant à manger.

À peine quelques minutes passèrent et Masumi lui proposa encore une autre chose intéressante.

Misa resta la bouche ouverte un instant. Son visage se transforma par la suite en sourire. Deux bonnes idées de suite. Elle remua la tête en signe d'approbation à Masumi, heureuse de s'être fait proposée une idée ainsi. Bizarrement, elle-même n'y avait même pas pensé. Sans doute parce qu'elle n'était que concentré à manger.
Comme pour augmenter le plaisir, Misa se prit très au sérieux, en parlant sur un autre ton, voulant jouer un personnage.

D'accord d'accord... Hum. Mademoiselle Kyoka, quel est votre racine canine préférée?

Ce fût la première chose qui lui vint en tête. Au départ, cela pouvait sembler enfantin comme question mais Misa aimait bien imaginer cette question au milieu des milles et unes questions ennuyantes que la professeur leur avait données. Elle aimait encore mieux penser à l'expression faciale que la conspiratrice aurait suite à la lecture de leur travaux.

Dans la salle d'informatique du lycée Yamaguchi, deux jeunes étudiantes assises au fond de la classe étaient bien loin du comportement studieux dont rêvait leur professeur.
Misa Hasegawa et Masumi Kyoka faisaient en effet connaissance... et cela ne passait pas inaperçu.
Yukiko san, ou la vieille chouette comme la surnommait Masumi, était en train d'observer le duo improbable.
Tout avait commencé par le "presque-retard" de Kyoka. Puis Hasegawa s'était mise à manger en classe, et enfin Masumi osait éclater de rire et donc dérangeait son cours.
Les élèves entendirent la vieille professeur soupirer derrière son bureau.

Masumi, elle, était loin de soupirer. La lycéenne inventait au contraire des questions loufoques à poser à sa jeune compagne.

"Ma race canine préférée ? hum... je n'aime que les bichons frisés à poils durs, lorsqu'ils viennent d'un père doberman et d'une mère chihuahua."

"Bon, à toi. Ton parfum de glace préféré ? La coupe de cheveux que tu ne supportes pas ? La dernière chose à laquelle tu penses avant de t'endormir ?"

Masumi prit une grande inspiration et ajouta :

"Et pour finiiiiir... Quelles sont tes impressions sur la situation actuelle du commerce des portables Hello Kitty en Nouvelle Zélande ?"

La jeune fille invita Misa à taper elle aussi son texte sur Word.
Elle jeta un coup d'œil vers la vieille chouette : cette dernière les observait de loin, comme si elle percevait des radiations d'amusement interdit se dégager autour des têtes angéliques du duo infernal.
Masumi lui sourit innocemment, avant de se remettre au "travail".

La réponse de Masumi fit sourire Misa qui porta sa main contre sa bouche pour étouffer ses rires toujours trop fort. Se fit ensuite à son tour de répondre à quelques questions.

J'aime la pistache. répondit-elle, les yeux grands ouvert pétillants rien qu'en imaginant sa glace.

Misa aimait bien ce genre de questionnement rapide. Ça lui permettait à elle-même de se rappeler qui elle était et ce qu'elle aimait vraiment. Bien sûr, dans cette situation, cela pouvait sembler plus comme une farce mais pour la jeune femme, rien n'était jamais trop ridicule.

Je n'aime pas les petits monsieur qui se laissent une petite couronne de poil tout autour de la tête pour montrer qu'ils ont encore des cheveux. dit-elle amusée, en imaginant plein de petits monsieur à moitié chauve.

Je pense... je pense à... mettre mon cadran. dit-elle au hasard, sachant très bien que chaque soir, une chose différente trottait dans sa tête.

Misa pensait que l'interrogatoire était fini mais Masumi ajouta une autre question, plus absurde encore que les précédentes. La pianiste se sentit désemparée, voulant donner quelque chose de croustillant à Masumi en retour.

Et bien, je trouve cela merveilleux que l'une de nos mascottes japonaises se multiplie partout dans le monde et encore plus dans la technologie.

Tout en écrivant ses réponses, Misa envoya un sourire à sa nouvelle rencontre qui semblait bien s'assimiler à sa personnalité. D'habitude les gens la trouvait trop enfant ou bien trop bizarre.

Misa aperçut le regard du professeur et la réponse souriante de Masumi. Voulant en rajouter un peu, elle releva la tête de l'écran pour regarder la dame et lui faire un clin d'oeil. Cette dernière leva un sourcil, ne comprenant absolument rien.

Bon une dernière.

Avant d'aller manger. rajouta-t-elle plus bas, pour se rassurer elle et son estomac.

Que penses-tu des professeurs dictateurs dans les écoles qui n'ont aucunement l'esprit ouvert?

Cette question était assez épicée pour le travail, Misa ne savait pas trop si Masumi irait aussi loin qu'elle mais elle voulait tout de même essayer, se disant qu'il n'y avait en faite, aucune preuve que les deux jeunes filles parlaient de leur éducatrice actuellement...

Masumi recopia rapidement les réponses de sa voisine à l’aide de Word. Misa était une jeune femme agréable et amusante, et ses réponses le prouvaient.
Masumi ne se souvenait pas avoir jamais rencontré Hasegawa le soir, dans les bars animés de la ville, ce qui amenait à penser que les deux lycéennes avaient un mode et un rythme de vie différents. Pourtant leur envie de pimenter le travail scolaire ennuyeux était le même, ce qui rapprochait les deux jeunes femmes malgré elles.

Masumi se dépêcha de trouver une dernière réponse :

« Je pense qu’un peu d’inattendu parsemé d’humour serait le remède idéal pour ces professeurs dictateurs. »

Masumi prit le temps d’enregistrer les deux fichiers.

« Ikuzoooo… », murmura-t-elle finalement, en prenant le temps de s’étirer.
Kyoka reprit son sac et son manteau, et s’approcha de Yukiko-san.

« Nous avons fini. »

Son ton se voulait neutre, mais un léger sourire se refusait à quitter ses lèvres.
La vieille femme observa attentivement les deux jeunes filles.

« Ce cours vous a-t-il été utile ? »
Le ton inutilement menaçant de la professeur ne fit aucune impression sur Masumi.

« Oh oui. J’ai l’impression de connaître biiien mieux Misa-chan. »

La lycéenne taquine insista sur le ‘chan’ qui laissait supposer une intime amitié, puis laissa le temps à Hasegawa de répondre si elle le souhaitait.
Finalement Masumi adressa un dernier sourire à la professeur, et sortit de la salle.

« Manger. Maintenant. »

Masumi posa la main sur son ventre en réprimant une grimace. Manger quelque chose devenait vraiment urgent.
Accompagnée de Misa, elle descendit les escaliers et s’arrêta devant le grand stand de la cafétéria.
Avec un regard avide, elle détailla le menu du jour, et commanda une part de lasagnes chaudes. La jeune fille s’en régalait à l’avance. Un plat italien : juste ce qu’il lui fallait.

Comme promis, elle paya le repas de sa compagne, et lui offrit une glace à la pistache en prime.
Ce n’était pas comme si elle allait se ruiner. La cafétéria de Yamaguchi High était connue pour ses tarifs extrêmement bas.

Un coup d’œil vers les tables bondées fit perdre un instant le sourire à Masumi, qui le retrouva quelque secondes plus tard en murmurant à Hasegawa :

« Suis-moi. J’ai la solution pour manger dans un endroit tranquille. »

Elle s’approcha à tâtons d’une salle de cours fermée, et l’ouvrit sans bruit.
Il était interdit aux étudiants de déguster leur repas dans les classes, car ils devaient rester groupés dans la cantine ou la cafétéria.
Masumi eut un grand sourire en découvrant la salle de musique vidée de tout professeur pointilleux.
Elle posa allégrement ses achats sur une table, et se dirigea avec un cri de joie vers une guitare posée contre un piano.

« Dis, tu sais jouer d’un instrument ? »

Masumi se tourna vers la jeune Misa, heureuse de pouvoir déjeuner dans un endroit si calme et divertissant.